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Chapitre
Découvrez un récit fantastique. Lady Thalen Ambrose, résolue dans sa mission de sauver son père, accusé de trahison.

Prologue

Créé : 24 Oct 2024, à 19:15 Mots : 1968 Mise à jour : 24 Oct 2024, à 19:15

Au nord des Basses-Terres, le village d’Or-Nagar

 

Caden descendit de cheval et regarda autour de lui. Sa femme avait insisté pour faire halte dans le petit village sur le chemin du retour. Ils avaient passé un mois chez la famille de celle-ci, sur la côte nord. Le couple et leur escorte voyageaient depuis plusieurs jours, et il était impatient d’être de retour dans leur foyer. Le seigneur Ambrose était soulagé d’avoir plusieurs hommes pour les accompagner durant ce voyage ; avec toutes les révoltes récentes, les routes étaient peu sures.

 

C’était le milieu de la matinée, et Caden espérait qu’ils pourraient être chez eux avant la nuit. Il alla aider sa femme à descendre de sa litière.

 

La litière était si imposante qu’elle devait être tirée par quatre chevaux. Il s’agissait d’un cadeau de mariage tardif pour sa femme. Elle avait été créée avec les matériaux les plus fins, de la soie de Tâlal et du bois de Stateria, une œuvre d’art réalisée par les meilleurs artisans du royaume. Dame Ambrose faisait toujours remarquer à quel point elle était confortable et spacieuse.

 

Les serviteurs ouvrirent les portes en bois léger, soulevèrent les rideaux, et il tendit la main à Raelynn.

 

« Mon amour, vas-tu enfin m’apprendre pourquoi nous sommes ici ? Et qui comptes-tu visiter dans cette… maison ? » dit Caden.

 

Sa femme ne répondit pas tout de suite. Elle demanda d’abord à une servante d’amener leur petite fille. Elle prit le bébé dans ses bras, et sourit à leur enfant. À six mois, Thalen débordait de vie et de curiosité. Leur fille gargouillait, tirant sur le long collier de sa mère et le porta à sa bouche. Raelynn la contempla avec tendresse.

 

« Nous sommes ici pour notre enfant. Il y a une femme dans cette maison qui peut voir son avenir », répondit-elle enfin.

 

« Tu sais combien je déteste les oracles, ma chérie. Ils ne répondent jamais clairement. Te souviens-tu de ce qui est arrivé au roi Stephan de Merin quand il voulut traverser la rivière pour attaquer le roi Argyron de Presus et ses hommes ? Il est allé consulter un oracle. Elle lui a dit : ‘Si tu traverses la rivière, un royaume sera détruit.’ Que s’est-il passé ? Merin est devenu une province de Presus. Pourquoi n’a-t-elle pas simplement dit : ‘Ne le fais pas, tu vas perdre et mourir’ ? Ils sont tellement cryptiques, c’est insupportable. »

 

Raelynn éclata de rire face à l’indignation de son mari.

 

« Chéri, cela s’est passé il y a un siècle. » Elle connaissait son aversion pour les oracles. « La personne que nous allons voir n’est pas vraiment un oracle, je te le jure, mais une femme qui possède un don. Elle nous donnera un aperçu de l’avenir de notre fille. »

 

« Nous n’avons pas besoin d’elle », se plaignit Caden.

 

« Ne veux-tu pas être préparé ? Je veux la protéger de tout danger. Il vaut mieux savoir ce qui nous attend », insista-t-elle.

 

Le seigneur Ambrose regarda sa fille et lui caressa la joue du bout du doigt. Le bébé abandonna aussitôt le collier de sa mère pour attraper le doigt de son père. Caden soupira. Pourquoi pas ? Ils vivaient des temps troublés, après tout, et il ferait tout pour protéger sa famille.

 

« D’accord, mais elle n’a pas intérêt à lui donner des potions ou des substances suspectes. »

 

« Elle ne le fera pas. »

 

« Comment as-tu entendu parler de cette femme ? » demanda-t-il.

 

« Mère. »

 

« Cela ne m’étonne pas. » La belle-mère de Caden appréciait les traditions et les rituels. Elle les avait tarabustés durant leur visite pour que leur fille fût présentée à une personne avec une vision de l’avenir. Ils avaient déjà fait bénir leur enfant par les prêtres au nom des dieux, et pour Caden, c’était suffisant. Il s'agissait d'une vieille tradition de consulter quelqu’un pour prédire l’avenir de l’enfant. Caden et Raelynn avaient souhaité avoir un enfant depuis si longtemps qu’il ne se souciait pas que leur fille fût paresseuse ou dépensière. Il l’aimerait et la guiderait. Chaque jour, en regardant le visage de sa fille, il comprenait davantage ce que signifiait réellement un amour inconditionnel.

 

Caden passa un bras autour de son épouse, et ils se dirigèrent vers la maison. Il frappa une fois à la porte, mais personne ne répondit. Il frappa une seconde fois. La porte s’ouvrit enfin en grinçant. Une femme rondelette portant des vêtements sombres apparut. Elle observa le couple et leur escorte.

 

« Nous sommes ici pour voir Meloa », dit Raelynn.

 

« Vous trois, à l’intérieur, vos gars dehors », exigea la femme. Il lui manquait quelques dents de devant, et celles qui restaient étaient en mauvais état, clairement une femme de peu de mots.

 

Caden hésita à laisser leurs deux gardes à l'extérieur, mais ils demeureraient suffisamment près pour entendre si quelque chose se passait à l’intérieur. Il hocha la tête, signalant à ses hommes d'obéir, prêts à intervenir.

 

Le couple entra et se retrouva dans un petit couloir sombre. Caden n’était pas impressionné. L’intérieur de la maison était aussi négligé que l’extérieur. Il y avait peu de lumière. Il rapprocha sa femme de lui.

 

« Vous payez maintenant », dit la femme en tendant la main. Pourquoi s’enquiquiner avec de bonnes manières ? pensa Caden.

 

Raelynn leva les yeux vers son mari, qui prit sa petite bourse en cuir. Il l’ouvrit, sortit deux pièces d’argent et les mit dans la main sale de la femme. Celle-ci ne bougea pas et garda la main tendue. Caden regarda sa femme, qui fit un geste vers sa bourse. Il soupira et lui donna deux pièces d’argent supplémentaires. Elle en prit une, la mordit, et, satisfaite, la mit dans sa poche.

 

« Montez », dit-elle avant de partir.

 

Caden n’avait même pas remarqué le petit escalier près de la porte. Il le scruta avec une certaine méfiance. Il prit sa fille des bras de sa femme pour qu’elle pût monter sans trébucher sur sa robe. Ils atteignirent l’étage, qui n’était qu’une grande pièce. Elle sentait les herbes, et toutes les fenêtres étaient fermées. Comme le reste de la maison, elle était mal éclairée et peu décorée, comme si les occupants venaient d’y emménager. Une femme assise derrière une table ronde en bois mélangeait des cartes à toute vitesse, avec ses ongles courts peints en noir. Caden fixa son épouse avec incrédulité, mais elle haussa simplement les épaules. Raelynn reprit leur fille et s’avança, saluant la femme.

 

« Bonjour, nous sommes ici — »

 

« Pour votre fille », l’interrompit la femme en plaçant ses cartes et en se levant. « Posez-la ici. »

 

Caden lorgna la table avec suspicion, incertain de vouloir que sa fille y fût allongée. Il arrêta sa femme alors qu’elle s’apprêtait à le faire.

 

Il enleva son manteau, le plia et le posa sur la table. Il ne voulait pas que les couvertures de sa fille touchent cette table. On ne savait jamais ce qui avait pu s’y trouver auparavant. Vu que la propreté ne semblait pas être une priorité pour les habitants de cette maison, il devait être prudent. Raelynn posa lentement le nourrisson sur la table.

 

La petite fille regarda les adultes de ses grands yeux bruns, les doigts dans la bouche. Elle leva les jambes pour jouer avec ses pieds.

 

« Votre enfant est adorable », remarqua Meloa. Elle retira un collier de son cou. Le pendentif avait la forme d’une lune. Elle le balança au-dessus du corps du bébé. Le pendentif remua légèrement. Elle secoua la tête.

 

« Non, pour elle, ce sera le soleil », dit-elle au bébé qui gazouillait. Elle remit le pendentif autour de son cou et en prit un autre, cette fois en forme de soleil. Elle le balança au-dessus du bébé, et il bougea rapidement. Thalen tenta de l’attraper, mais Meloa l’éloigna, le laissant osciller près des jambes de l’enfant.

 

« Elle est une fille du soleil », remarqua-t-elle.

 

« Qu’est-ce que cela signifie ? » demanda Caden.

 

« Elle est solaire. Elle vous apportera de la joie, un enfant heureux. Elle aimera la nature, la forêt, les animaux », expliqua-t-elle, tout en faisant balancer le pendentif. Caden jeta un coup d’œil à sa femme et sourit. Thalen, qui le regardait attentivement, l’attrapa avec ses doigts mouillés. La femme le retira lentement des mains du bébé.

 

« Oh, elle sera impulsive, intelligente et déterminée », continua-t-elle, souriant au bébé qui faisait désormais des bruits et suçait sa main. « Je vois de la passion, de la force, de la beauté. » Elle rangea le pendentif soleil et sortit un troisième bijou toujours autour de son cou.

 

« Allons plus loin », proposa-t-elle.

 

Le pendentif cette fois-ci était une simple perle blanche. Elle le fit bouger de haut en bas au-dessus du bébé, puis ferma les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, ils étaient devenus blancs. Caden fit immédiatement un pas en avant pour récupérer sa fille, inquiet, mais Raelynn l’arrêta en lui prenant la main.

 

« Attends, elle voit quelque chose. »

 

Caden regarda Meloa. Ses yeux étaient fermés, et sa tête était rejetée en arrière.

 

Elle commença à parler. « Je vois un homme, du nord, un loup noir. Il l’éloignera de vous. Attendez… dans la forêt sombre, les arbres parlent — ils disent… qu’il arrive. Il arrive, l’enfant de la Lune et du Soleil. Il apparaîtra durant une nuit d’orage et de feu. L’obscurité couvre le soleil. Je vois des ombres et de la lumière. Pouvoir et faiblesse, désir et douleur, amour et luxure, naissance et mort entrelacés, dansant au rythme des tambours de la vie. Votre fille se tient droite, marchant dans un long couloir de marbre, évitant de justesse l’appel du sépulcre… Les arbres veillent sur elle. » Elle posa ses mains sur sa tête en gémissant, comme si elle souffrait d’un terrible mal de tête.

 

Caden ne comprenait pas tout de ce qu’elle disait ni ce que cela signifiait, mais le rythme de son cœur s’accéléra. Un homme enlèverait leur fille. Cela n’arriverait pas. Il la protégerait au prix de sa vie.

 

Meloa ouvrit les yeux, ils n’étaient plus blancs. « C’est tout. Vous pouvez partir. »

 

Raelynn prit leur fille, remercia la femme et se dirigea vers la porte. Comme lui, elle semblait un peu secouée par ce qu’elle avait entendu. Il s’apprêtait à partir quand Meloa l’arrêta.

 

« Monseigneur, ils la cherchent. Ils viendront pour elle », dit-elle.

 

Elle le regarda intensément, plissant les yeux. « Vous savez que rien ne demeure caché longtemps quand il s’agit des… rois et des dieux. »

 

Le seigneur Ambrose ne répondit pas et suivit sa femme hors de la maison.

 

Meloa se frotta ses yeux endoloris et se dirigea vers la fenêtre. Elle tira les rideaux et observa les Ambrose s’éloigner avec leur escorte.

 

« La peste ! »

 

« Qu’y a-t-il ? » demanda la femme derrière elle.

 

Meloa alla à la table, attrapa un morceau de papier, une plume qu'elle plongea dans l'encre, et se mit à écrire rapidement. Lorsqu’elle eut terminé, elle tendit la lettre à sa servante.

 

« Nous partons ce soir. Fais tes bagages et pars pour le nord. Trouve l’Ancien et remets-lui ceci ; il saura quoi faire. »

 

« Et toi ? »

 

Meloa embrassa le front de sa servante. « Je dois trouver des réponses. »

 

La servante regarda autour d’elle et soupira. « Nous venons à peine d’arriver. Et la maison ? »

 

« Brûle-la. Qu’elle disparaisse ainsi que toute trace de nous avec elle. »

 

« Tu veux que les gens croient que nous sommes mortes dans l’incendie ? »

 

« Oui », répondit Meloa, tout en rassemblant ce dont elle aurait besoin pour le voyage dans un sac. Elle saisit un livre noir avec un serpent blanc en couverture et le plaça dans son sac.

 

« L’enfant ? »

 

Meloa hocha la tête.

 


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